J'ai récupéré le livre commandé, à la FNAC, je l'ai immédiatement glissé dans mon sac, impatiente de le découvrir. Dès les premières minutes avec cet ouvrage, une impression forte s'est imposée : j'étais conquise. L'objet-livre lui-même m'a charmé. Publié par la maison d'édition Au Diable Vauvert, l'ouvrage est réalisé avec de l'encre végétale. Bien qu'il compte 361 pages, il est léger, souple en version brochée et tient parfaitement en main.
La couverture avec sa mise en page, le choix des couleurs, l'illustration, et la manière dont le nom de l'auteure est mis en valeur, tout cela m'a séduite. Je me suis surprise à déclarer : « C'est mon petit chouchou ».
En feuilletant les premières pages, j'ai ressenti un véritable attrait pour le style d'Octavia Butler. L'histoire commence de manière immersive : l'héroïne parle à la première personne, ce qui instaure immédiatement une proximité avec elle. Les premières lignes situent l'action au samedi 20 juillet 2024, une date toute proche par rapport à notre présent, renforçant une sensation d'anticipation visionnaire. Cette entrée en matière m'a fascinée, car "La Parabole du Semeur" a été publié en 1993 ! Tout cela me donne alors envie d'aller de me plonger dans ce livre.
Au préalable, je m'étais penchée sur le parcours de l'auteure/autrice. Octavia Butler est une figure emblématique de la science-fiction : afro-américaine, descendante d'esclaves, deux fois lauréate des prestigieux Prix Hugo et Nebula. En 1995, elle est devenue la première autrice de science-fiction honorée par la Fondation Mac Arthur, qui lui a décerné la bourse « Genius Grant ». Octavia Butler est malheureusement décédée prématurément en 2006 à Seattle, à l'âge de 59 ans.

En pensant au choix de mon marque-page pour accompagner cette lecture, j'ai eu l'idée d'utiliser le ticket de visite des Tours de La Rochelle que j'avais gardé. Ce choix m'a semblé particulièrement significatif. En effet, La Rochelle était un port important durant la traite négrière, et ce simple ticket a réveillé le souvenir d'une visite marquante et très appréciée du Musée du Nouveau Monde de La Rochelle. Il me semble qu'associer ce lieu de témoignage chargé d'Histoire à une lecture sur fond de survie, d'oppression et d'espoir va donner à mon expérience de lecture une résonance encore plus forte. C'est comme si ce billet de visite devenait un pont entre la fiction d'Octavia Butler et les réalités historiques dans lesquelles je m'étais immergée, lors de ma visite du Musée du N.M. (Statue de Toussaint Louverture au musée du N.M. à La Rochelle - Ousmane Sow).
Ces premières impressions, même fugaces, me paraissent précieuses. Elles fixent un ressenti à vif, témoignant de cette alchimie qui peut opérer entre un lecteur et un livre dès les premières pages. Peut-être m'inspireront-elles plus tard pour un texte plus abouti sur mon expérience de lecture. Pour l'heure, elles m'accompagnent, tout comme ce petit ticket, glissé entre deux pages, gardien discret d'une rencontre entre une histoire fictive et une réalité historique.
Commencement de ma lecture de "La Parabole du Semeur"
Je viens de commencer "La Parabole du Semeur", ce roman écrit en 1993, mais qui me semble presque prophétique en ce début d'année 2025. Dès les premières pages, l’intrigue s’ouvre sur l’année 2024 et bascule rapidement en 2025. Cette coïncidence temporelle m’a immédiatement saisie : « Ça y est, je suis dedans ! ». Ce décalage de trente deux ans entre la première édition du livre et ma lecture renforce l’impression troublante que ce livre anticipe de manière saisissante ce monde contemporain.
Ce qui m’a frappée d’emblée, c’est la description de Los Angeles, devenue une zone misérable, dévastée, presque apocalyptique. Cette vision fait écho à des événements bien réels : récemment encore, des incendies records ont ravagé la région, et sont identifiés comme étant " les plus dévastateurs de la Californie". Ce parallèle entre la fiction et l’actualité m’a donné l’impression qu'O. Butler avait perçu au moment où elle écrivait ce roman, la direction vers laquelle nous nous dirigions. Ce qui fait d'elle une autrice visionnaire.
Une autre résonance forte réside dans l’accélération du temps et de la violence que l'autrice dépeint. Son monde est en perpétuel effondrement, pris dans une spirale de chaos. Ce sentiment de décadence et d’urgence est de plus en plus perceptible aujourd'hui. Avec l’essor fulgurant de l’IA, les bouleversements technologiques et les crises écologiques qui se multiplient, j’ai l’impression que nous vivons cette même précipitation vers l’inconnu. Le futur dystopique d'Octavia Butler est devenu notre présent.
Une jeune héroïne prénommée Lauren
Au fur et à mesure de ma lecture, je découvre Lauren, l’héroïne du roman. Adolescente de quinze ans, elle grandit dans un monde où la violence est omniprésente. Sa particularité : elle souffre d’hyperempathie, une condition qui l’amène à ressentir les douleurs et les plaisirs d’autrui comme s’ils étaient les siens. Ce "don" est un héritage indirect de l’addiction de sa mère pendant sa grossesse à une drogue, le "Paracetco", appelée par lauren "la pillule géniale". Une hyperempahtie perçue par Lauren comme une malédiction dans un monde aussi brutal. Voir souffrir, c’est souffrir avec, voir quelqu’un mourir, c’est presque mourir soi-même...
La communauté où elle vit est barricadée derrière des murs de protection. Chaque sortie est un risque mortel. L’assassinat de Monsieur Yannis, voisin respecté, illustre cette insécurité permanente. La police, impuissante, n’offre qu’une protection symbolique. Cette ambiance sombre est marquante, mais elle fait aussi écho aux insécurités contemporaines. Les quartiers cloisonnés, la peur de l’autre, les violences urbaines… Il y a là quelque chose d’universel et d’intemporel.
Le canyon et les armes au chapitre 4 : une résonance inattendue
Arrêt sur image au chapitre 4, dans lequel Lauren et d’autres jeunes de la communauté sont emmenés dans un canyon pour apprendre à tirer. À quinze ans, savoir manier une arme n’est pas une option : c’est une nécessité. Le pasteur, père de Lauren, prêche la prudence et la défense. Ce décor de canyon, peuplé de cadavres et de chiens sauvages, m’a donné l’impression de basculer dans un western post-apocalyptique. Ici encore, c’est la question de la survie qui prime : il faut savoir se défendre pour espérer vivre.
Cette scène m’a renvoyée à mes propres réflexions sur la préparation face à l’imprévu. L’idée d’avoir un sac prêt, un plan de fuite, fait écho à des discussions que j’ai eues récemment. Ce n’est pas tant la peur qui guide cette préparation, mais une forme d’anticipation. O. Butler ne présente pas ces actions comme paranoïaques, mais comme relevants d’une réponse lucide face à un monde incertain.
Par exemple, un passage du livre page 68 m’a frappée d’une manière inattendue, et m’a donné l’impression que le livre venait valider cette intuition que j’avais déjà en moi, presque mot pour mot. Ce passage parle de l’importance de prévoir, de s’organiser en cas de catastrophe, d’avoir un sac prêt, un point de ralliement, et de savoir se débrouiller seule si les choses tournaient mal. C’était exactement ce que je disais l’autre jour en discutant. Comme une adéquation entre ce que je ressentais à ce moment là et ce que Lauren, l’héroïne conseille à son amie Joanne : "En arrivant chez toi, regarde bien. Tu peux puiser des informations utiles à la survie dans les encyclopédies, les biographies, tout ce qui pourra te servir à te défendre. Même les fictions peuvent être riches d'enseignements."
Ce n’est pas seulement une question de peur ou de vouloir être rassurée. C’est plus profond, c’est une sorte d’anticipation, de vision du futur, comme si certains événements se révélaient avant même qu’ils ne se produisent. C’est un peu comme si l'auteure, en écrivant "La Parabole du Semeur", avait vu venir des choses qu'elle décrit à travers l'histoire de Lauren, qui font écho en 2025. Cette lecture fait résonance, et me conforte dans l’idée que parfois nos intuitions ne sont pas simplement des pensées passagères. Elles nous montrent le chemin. Elles nous montrent aussi qu'il est important de les écouter.
Marjorie R
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